Madame Figaro
28/03/2024
FRÉDÉRIC SANCHEZ
Provoquer une réaction forte, un court-circuit
«J’ai débuté comme illustrateur sonore avec Martin Margiela. En 1988, inspiré par les arts plastiques, il lançait sa première collection. Ensemble, nous cherchions une façon expérimental e de raconter la puissance du vêtement à travers des décors et des paysages sonores. Après des mois d’échanges, Martin a choisi de défiler dans un théâtre délabré parisien qu’il a recouvert de tissu blanc. Les mannequins trempaient leurs pieds dans de la peinture rouge et laissaient une trace à chaque pas. J’avais mis des micros backstage pour que le public entende les coulisses.
Avec un magnétophone à bandes, j’ai assemblé des extraits sonores, comme on le fait pour le montage au cinéma, mais en mode brouillon. L’atmosphère sonore faite de boucles répétitives restituait le sentiment d’urgence d’un défilé, mais insufflait également le désir d’étirer le temps, de procéder par arrêt sur image. Avec Margiela ou Miuccia Prada, avec laquelle j’ai collaboré par la suite, j’ai eu des discussions de nature philosophique, ce qui est presque plus important que de voir le vêtement, car on perce son essence. Dans mes bandes-son, j’ai souvent fait intervenir la voix d’écrivains, comme les phrasés de Marguerite Duras, qui apportent une dimension hypnotique. Ce qui intéresse des créateurs comme Martin Margiela, Alexander McQueen, Marc Jacobs ou Miuccia Prada, c’est de provoquer une réaction forte, un court-circuit : il faut que les gens détestent ou qu’ils adorent, pas d’entre-deux.
J’aime évoluer dans cet esprit punk. C’est ce qui m’a amené à collaborer avec une nouvelle génération de designers à Londres, comme Craig Green et Simone Rochas. Ou le Hollandais Duran Lantirlk, très inspiré par le surréalisme et l’upcycling, et dont les créations ont été portées par Billie Eilish et Beyoncé. Pour son premier défilé printemps-été 2024, j’ai alors conçu un soundtrack méditatif. Le son, c’est en quelque sorte l’envers du décor. Comme le parfum, il est non palpable mais génère toute une ambiance.»