Entente Cordiale : Jean-Paul Gaultier haute couture par Simone Rocha
Godfrey Deeny
Traduit par Marguerite Capelle
24 janv. 2024
Et voilà une nouvelle entente cordiale. Rencontre au sommet entre Jean-Paul Gaultier, l’enfant terrible de la mode parisienne, et l’irlandaise Simone Rocha, grande prêtresse du
romantisme rustique: et cela donne une collection haute couture d’une créativité et d’une qualité exceptionnelles.
Simone Rocha décline de façon précise mais jamais littérale les éléments clés de l’ADN de Jean-Paul, tout en parvenant systématiquement à les marier à sa propre sensualité cool et nostalgique.
« J’ai adoré. Je mets 12 points à l’Irlande: quelle collection ! La France, avec des influences sino-irlandaises. Simone comprend mes codes, elle y a injecté de l’humour, de l’émotion et de la spiritualité, ce qui m’a énormément plu », s’enthousiasmait Gaultier en coulisse, tandis que Kylie Jenner, Baz Luhrmann et Kelly Rutherford venaient fêter ce défilé unique.
La collection est la sixième réalisée par un créateur invité par Gaultier couture – il y a eu Chitose Abe, Glenn Martens, Olivier Rousteing, Haider Ackermann et Julien Dossena. Mais si les autres ont proposé des vêtements splendides, aucun n’a totalement esquivé l’écueil du pastiche. La version de Simone Rocha est vraiment la plus en phase avec la grandiloquence chic et jouissive de Jean-Paul Gaultier.
Et ce dès le premier look, une crinoline en organza métallique transparent parachevée par des motifs serpent ou ciel étoilé, quasi hallucinatoires. Ou cette robe corset à maxi laçage en soie duchesse, avec des bretelles en guise de traîne et une découpe dans le dos qui se termine en explosion de tulle: le mariage parfait entre Simone et Jean-Paul. C’est vraiment l’union mode tombée du ciel.
Simone Rocha distille sa touche spirituelle dans toute la collection – avec ces tatouages en organza peints à la main, ou ce soutien-gorge à cristaux motif trèfles rouges. Là où les précédents créateurs invités s’étaient pliés au cliché du marin, Simone imagine une femme fatale de la navy, coiffée d’un bonnet de matelot, dans une remarquable mini robe composite avec soutien- gorge ruché et rubans de tulle rebrodés de cristaux. Et elle fait tourner les têtes au premier rang, avec une robe bustier ultra élancée en organza de soie ivoire, rebrodée de plumes de dentelle.
On imagine aisément l’enthousiasme de l’atelier parisien Gaultier pendant cette collaboration. La créatrice imagine un manteau de taffetas vert/noir tout droit sorti des archives, avec un soutien-gorge conique façon pétales. Et l’obsession de l’Irlandaise pour les perles donne naissance à une autre robe corset divine, ornée de dizaines de rangs de perles baroques.
Le tout est complété par des versions incrustées de plume des souliers fétiches de Simone Rocha, escarpins en plexiglas et richelieus compensées.
« Jean-Paul m’a laissé toute latitude, ce qui m’a énormément plu. C’était vraiment un cadeau. J’ai donc avant tout cherché à faire une collection qui plairait à Gaultier. C’était mon seul objectif. Cela a été une expérience fabuleuse. J’ai commencé par le gant, les seins, la silhouette féminine – j’ai exploré, exploité tout ça et ce que ça pouvait produire sur une pièce et un procédé de fabrication. Je cherchais un effet seconde peau », expliquait Simone Rocha.
Dans l’ensemble, la collection comme le défilé représentent un hommage pétri de respect envers le métier de couturier. Le public relativement réduit s’est installé sur des chaises d’écolier en contreplaqué. Le podium était recouvert d’aluminium argenté, et la bande-son du maître DJ Frédéric Sanchez mixait les airs d’opéra de la couture classique avec les tubes rock des shows Gaultier.
Simone tenait manifestement à célébrer sa découverte d’un atelier de haute couture, avec tous ses secrets. Elle a même respecté les codes du programme Gaultier, résumant chaque look avec un soin méticuleux, en puisant dans le lexique français de la couture: aigu, maille bloquée, soie cigaline ou encore soutien-gorge. Et le défilé regorgeait de tout cela.
La créatrice féminise le fameux bustier iconique Madonna, avec une version recourbée, presque comme une langue.
Comme elle le racontait à FashionNetwork.com, travailler avec un atelier de haute couture a été « une expérience incroyable, tellement artisanale: pouvoir ainsi réaliser des rêves avec la liberté de puiser dans de fantastiques techniques chargées d’histoire, en les revisitant pour le monde moderne ! »
En résumé, c’est à ce jour le défilé couture le plus original du programme officiel (qui en compte 30). Pas mal, pour des débuts sur la place parisienne.