Le Figaro – 3 octobre 2018
Que la force soit avec elles
La Fashion Week de Paris s’est achevée mardi sur deux défilés Louis Vuitton et Miu Miu au message puissant sur la féminité et le pouvoir, à travers une esthétique radicale pas vue depuis longtemps.
La démonstration du pouvoir est l’une des marques de fabrique de Louis Vuitton. Qui d’autre que le fleuron de LVMH pour défiler au Musée du Louvre, symbole de la grandeur française, dans les pas d’Emmanuel Macron ? Qui d’autre pour habiller la première dame ? Qui d’autre pour réunir, sur le même banc, Isabelle Huppert, Léa Seydoux, Alicia Vikander et Cate Blanchett habillées régulièrement par Nicolas Ghesquière, le directeur artistique du malletier ? « Depuis mes débuts – il y a de longues années ! -, on dit de mes vêtements qu’ils donnent du pouvoir aux femmes, rapportait ce dernier à l’issue du défilé après avoir embrassé un bataillon de célébrités comme vu nulle part ailleurs. J’ai voulu creuser ce thème récurrent de mon travail et, pour une fois, ne pas prétendre raconter une histoire. Chacune des pièces de ce printemps-été répond à un seul critère : tenter de procurer la force et la confiance en soi. » L’absence de fil narratif explique en partie l’impression très perturbante de ce défilé sis dans un tunnel en Plexi transparent, encadrant la fontaine historique de la cour Carrée du Louvre. C’est bien du Ghesquière mais explosé dans ses obsessions. Parfois extrêmement efficace – les vestes à basques sont d’une perfection rare, comme celles en double gomme soudée aux lignes épurées, très proches de son style époque Balenciaga. Parfois déconcertant, à l’instar des combinaisons à épaules cercle entre Star Trek et Cardin. L’architecture, fondement de la silhouette du Français, est une réponse assez évidente à la question de l’empowerment. Mais le designer propose aussi des robes tee-shirts aux lignes molles, des blouses cocon en matière technique gaufrée, des tops aux manches bouffantes dix-neuviémistes, des jeans roses motifs Kuramata et des robes bustiers aux imprimés Memphis… Il envoie soudain trois mannequins aux forts airs de garçon, un troisième genre, en tailleur-pantalon. Le podium est-il un territoire de revendication ? C’est ce que pensent les médias anglo-saxons, qui n’ont cessé, durant cette Fashion Week, d’interpréter les longueurs d’ourlet et les carrures des vestes à l’aune des scandales trumpiens. Le point de vue français est, nous semble-t-il, plus subtil. « Si Chanel a donné la liberté aux femmes, disait Pierre Bergé, Saint Laurent leur a donné le pouvoir. » Marguerite Duras écrivait au même sujet : « Les femmes de Saint Laurent sont sorties des harems, des châteaux et même des banlieues, elles courent les rues, les métros, les Prisunic, la Bourse. » Et cinquante ans après, la mode court toujours après « elles »… Cette collection LV n’est pas la plus simple à aimer, elle déroute à dessein, Ghesquière estimant que, si sa mode est puissante, c’est parce que sa radicalité exige de la personne qui la porte de l’assumer, de faire des choix. H. G.
La féminité version Miuccia Prada déroute, elle aussi. Depuis 1988 chez Prada (avec du Nylon sur les podiums, des robes épurées à l’extrême et des sacs à dos en guise de sac à main), depuis 1993 avec Miu Miu (ses strass gros comme des cailloux collés sur des serre-tête de gamines pas sages, ses souliers œuvres d’art, sa palette acide), l’Italienne se délecte de casser les codes du bon goût. Pensée, à l’origine, comme la ligne « petite sœur », Miu Miu s’est affranchie, au fil du temps, de son statut de benjamine – c’est une marque en soi. Quelques heures avant la clôture de la Fashion Week au Louvre par Louis Vuitton, la signora Prada investit comme à son habitude le Palais d’Iéna. Elle raconte l’histoire d’une bande de filles aux longs cheveux hirsutes et à la frange mal coupée, en robes du soir de taffetas froissé, effiloché, qui sortent en fond de jupe transparent, leurs cannes de serin dans des chaussures trop grandes. Les jupes à godets sont taillées dans du denim proprement sali, les cardigans noués dans un esprit couture. Une série de vestes de bureau en toile de laine grise, à simple ou double boutonnage portées sur… rien, démontre qu’une belle pièce fait la silhouette. Pour parfaire le tableau, la musique. Les Miu Miu girls serpentent dans l’assemblée au son du piano – les titres 17 Days et Purple Rain de l’album posthume de Prince, Piano & A Microphone 1983 sorti il y a une dizaine de jours. Un bijou !
Chez Leonard, Christine Phung articule son printemps-été 2019 de la façon suivante : les premiers looks « tailleur » sont architecturés, épaulés, cousus de poche pour se déconstruire au fil des passages, se débarrasser des détails, jusqu’à devenir de simples carrés de jersey de soie imprimés à nouer. Inspirée par la réserve du Masaï Mara au Kenya, la styliste a sélectionné parmi les riches archives de la maison des imprimés savane, des fleurs sauvages, dont elle délave les teintes pour leur donner l’aspect d’une nature brûlée par le soleil. En parallèle, la griffe célèbre ses soixante ans avec une collection capsule en jersey de soie signature. Six silhouettes (combinaison, robe d’hôtesse, pantalon ample) imprimées d’orchidées aux couleurs poudrées, de lotus sur fond de fuchsia et de noir, revues et corrigées par la directrice artistique, disponibles en boutique en novembre. É. F.