janv. 052013

MODZIQ Septembre 2012

modziq2012

Propos recueillis par: Joss Danjean / Photo par: Matias Indjic

Il fait partie du club très fermé des illustrateurs sonores spécialisés dans le domaine de la mode, mais, Frédéric Sanchez possède, également, bien d’autres cordes à son arc, comme ses expositions ou installations sonores propres à faire voyager ses visiteurs dans un autre monde.
Rencontre avec ce designer sonore pas comme les autres …

Peux-tu nous raconter ton parcours ?

J’ai transformé une passion en travail. Ce n’est pas un accident, mais c’est une histoire de hasards ou de rencontres plutôt. J’ai, tout d’abord, commencé à m’intéresser au milieu de la danse, surtout dans les années 80, avec Philippe Decouflé, Régine Chopinot … Et, ces gens avaient des liens avec la mode, comme par exemple, Régine Chopinot avec Gaultier, ou encore, quelqu’un comme Sapho, que j’adorais, qui était aussi habillée par Gaultier. .. À cette époque, j’étais aussi très branché par la musique de Manchesteret et le label Factory, par la new wave comme Joy Division … Le graphiste Peter Saville de Factory réalisait les graphismes de Yohji Yamamoto … Par ce biais-là, j’ai commencé à m’intéresser à l’univers de la mode.

Quelle a été la ou les rencontre(s)-clés ?

J’ai débuté dans le monde du théâtre, en travaillant au service de presse pour le Théâtre du Châtelet. Ensuite, totalement par hasard, je suis devenu assistant de Michèle Montagne, qui recommençait avec une créatrice, en l’occurrence Martine Sitbon.
J’étais un très mauvais attaché de presse, mais je passais de la musique dans le bureau toute la journée. Un jour, elle avait un problème avec la musique pour un défilé et Michèle lui a dit: tu devrais voir avec Frédéric, il s’y connaît très bien. Et puis, elle travaillait avec quelqu’un d’autre, donc je ne signais pas vraiment la partie musicale. Un an plus tard, elle m’a présenté Martin Margiela, qui sortait à peine de chez Gaultier : nous nous sommes très bien entendus et nous avons décidé de travailler ensemble. J’ai alors signé ma première musique de défilé! C’était vraiment important pour moi, car nous avons travaillé ensemble pendant deux mois, et nous avons réellement essayé de réaliser quelque chose de nouveau et d’original. Avant cela, les défilés étaient toujours sur le modèle de la couture avec un côté très théâtralisé, et là, l’idée était de faire un happening avec une musique continue du début jusqu’à la fin, des musiques chaotiques, cassées, pas du tout mixées, coupées. Cela a marqué une vraie cassure, d’une part par rapport au travail de Martin et,ensuite, par rapport à la musique dans les défilés. Je pense qu’on est toujours dans ce système aujourd’hui …

Quelles sont tes collaborations les plus emblématiques ?

En fait, je dirais qu’elles sont toutes emblématiques, car ce sont de longues histoires : j’ai commencé avec Martine Sitbon en 1991, avec Prada et MiuMiu en 1994, MarcJacobs en 1994 aussi,et puis Calvin Klein … Au début, Prada était déjà une grande maison, mais pas avec les mêmes moyens qu’à l’époque d’Azzaro, par exemple. Je suis heureux d’avoir participé à l’évolution de la marque.

Quel est le changement majeur dans ton travail ?

Ce qui a définitivement tout bouleversé, c’est Internet, indéniablement. En fait, ce que j’ai essayé de faire depuis mes débuts, c’était de travailler avec des musiques existantes et d’en faire presque une nouvelle composition. Internet apoussé à réaliser de vraies compositions.

Que penses-tu des collaborations entre artistes et marques ?

A la fin des années 90, il y avait pas mal de collaborations avec des artistes et des marques, au moment où j’avais cette boutique rue Sainte-Anastase. Beaucoup d’artistes de Berlin, d’ailleurs, si je me souviens bien, m’envoyaient leur musique. En fait, c’était aussi une période où je recherchais cela, alors qu’aujourd’hui, pas du tout.

Pourquoi cela ?

Parce que dans les années 2000, on est revenu à « faire de la mode », et c’est plus << comment on assemblait tout cela » qui importait. L’illustrateur sonore est revenu à une action plus artistique, de recherche, d’assemblage …

Aujourd’hui, quel est le procédé quand il est question de réaliser une bande-son pour un défilé ?

En ce moment, il y a une envie de recommencer à travailler plus en amont, moins en période de stress, des jeunes maisons comme Bouchra Jarrar… Avec Martine, au début des années 90, on s’y prenait trois mois avant …

Quels sont les derniers défilés sur lesquels tu as travaillé ?

Il y a bien sûr Marc Jacobs, Calvin Klein ou Margiela, mais aussi Yves Saint Laurent, Versace ou Acne …

Le procédé saccadé-coupé est-il toujours de mise ou le mixage tient encore de haut du pavé ?

C’est-à-dire que pour moi, ce procédé a été ma marque de fabrique, et je pense être allé au bout de celui-ci. Ensuite, j’ai fait le morceau unique, en particulier avec Marc. Après, il y a eu les mashups: prendre Beyoncé avec Metallica … Même mélanger trois morceaux ensemble … Tout est encore possible aujourd’hui, selon les envies du designer. Certains n’ont aucune référence musicale, mais savent exactement l’effet qu’ils veulent atteindre, et d’autres vont me parler que par image, et à moi de le traduire en musique.

Le lieu n’a-t-il pas un rôle important aussi dans ta réflexion ?

Bien sûr, c’est un axe primordial: l’espace, la manière de diffusion du son, la résonance sont des paramètres très importants dans mon travail. Un des premiers rendez-vous de travail est la visite du lieu. En général, je fais toujours rajouter des basses : je trouve qu’il n’y en a jamais assez! Et puis, ces endroits ne sont, en général, pas prévus pour diffuser de la musique, donc il faut en tirer le meilleur parti.

D’où un rapport entre musique et image, via la mode donc?

Cela m’a amené à faire un film en Allemagne, Le Soldat Sans Visage, pas très connu. J’ai réalisé la bande-son du film de Patrice Chéreau, Intimité; un autre intitulé Le Secret, de la réalisatrice VirginieWagon ; de nombreux courts métrages de mode, comme dernièrement Dior et Natalie Portman ; et aussi, beaucoup de musiques pour des vidéos d’artistes, comme Ange Leccia, par exemple.

Une partie de ton travail est aussi plus personnelle ?

Oui, je réalise des installations sonores, en ce sens, je travaille comme un plasticien. J’ai fait plusieurs expositions (Grand Palais) avec seulement un travail sur le son. Par exemple, je vais disposer 18 enceintes- que l’on ne voit pas- dans un espace donné, afin de créer un environnement sonore particulier. C’est comme de l’architecture sonore. Mon travail, c’est qu’il n’y ait plus de forme, sauf celle que l’on se crée soi-même en entendant le son. Cela rejoint ce que j’ai toujours fait avec la mode: raconter une histoire avec du son.

Tu apportes aussi ton talent au service de marques ?

Oui, c’est le cas avec Harrods, l’Hôtel Costes, Air France, Hermès, Peugeot, ou encore, la FIAC … C’est assez varié comme style.

Les tendances de mode, comme les couleurs ou le retour de telle ou telle tonalité ou coupe, induisent ellesquelque chose dans ton travail sonore?

Pas forcément, mais je me souviens de ce défilé Miu Miu, il y a trois ou quatre saisons, avec des vieux tissus ou tapis, c’était une réflexion sur la crise, d’une certaine manière. Moi, j’avais raconté une histoire avec un tempo de hip-hop, façon début années 80, sur lequel j’avais plaqué des extraits du film Fellini Roma. Dans le film, ils découvrent des anciennes fresques romaines et font un trou pour les mettre à jour. Une fois à l’air libre, elles disparaissent.

Ce travail d’illustrations sonores demande une culture assez fantastique, non ?

Il faut que, dans un laps de temps assez court, on puisse te parler de réminiscences aussi diverses de la musique, d’Antonioni en passant par les mangas. Il faut être très réactif et rapide. C’est aussi pourquoi il n’y a pas autant de gens qui peuvent faire ce travail.

Hormis la musique, utilises-tu aussi des bruits divers et variés?

Oui, bien sûr, j’ai beaucoup mélangé – et je le fais toujours – la musique et les bruits : la pluie, les bruits de pas, le vent … Ce sont mes références à moi. A une période, il y avait des avions et desvoitures. Mais pourquoi, je ne sais pas ! J’ai fait, également, des bandes-sonores sans musique : jeme souviens d’un défilé Miu Miu, uniquement composé d’extraits de dialogues de films, une quinzaine en dix minutes. J’avais fait des choix en rapport avec l’univers de la marque autour d’une réflexion sur la bourgeoisie, donc il y avait du Fassbinder, Werner Schroeter, des films expérimentaux des années 70, ou encore, Violence et Passion de Visconti …

Quels sont les artistes musicaux qui t’ont marqué?

Des artistes, comme Brian Eno, ont eu une influence indéniable sur mon propre travail. .. Et finalement, on se rend compte qu’on fait aussi les choses qu’on aime déjà soi-même, je pense …

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