mai 222013

WANDERLUST PARIS Mai 2013

Wanderlust

Frédéric Sanchez est illustrateur sonore des défilés de mode.

Comment définissez vous votre métier ?

J’ai développé depuis des années un travail mettant en relation le son et l’image. C’est à dire utiliser le son de manière à provoquer des images chez le spectateur et l’emmener dans une histoire. On me demande souvent si je me définis comme Dj ou musicien. J’ai toujours préféré dire que je suis illustrateur sonore. Un emprunt à l’univers radiophonique qui pour moi est plus poétique, plus émotionnel et se rapporte à la mémoire et aux souvenirs.
J’aime l’idée des feuilletons que l’on pouvait suivre à la radio avant que la télévision existe et dans lesquels des illustrateurs sonores mélangeaient des musiques et des bruitages de manière à créer des films sonores.

Quel est le changement majeur dans votre travail ?

Internet a beaucoup changé ma manière de rechercher des musiques. Avant je devais aller dans les boutiques de disques à Paris ou lors de mes voyages. Aujourd’hui c’est tout un monde qui s’offre à moi. Le problème des droits d’utilisation de la musique m’a aussi obligé à faire mes propres compositions. Je peux dire qu’internet m’a obligé à évoluer.
Les nouvelles technologies ont aussi énormément bouleversé ma technique de travail. J’ai commencé d’abord par utiliser les bandes magnétiques et aujourd’hui j’utilise des logiciels informatiques beaucoup plus sophistiqués.

Comment êtes vous arrivé dans le secteur de la mode ?

Je me suis construit à travers la musique. Des artistes comme David Bowie ont été très importants pour moi. J’ai été nourri par ses références visuelles, littéraires et musicales. Lors de la tournée qui accompagnait la sortie de son disque « Station to Station » , le Thin White Duke Tour en 1976 , il avait programmé en première partie le film de Luis Buñuel et Salvador Dali « Un chien Andalou » cela m’a inspiré et je me suis intéressé au surréalisme. Je peux dire ainsi que mon goût pour la mode s’est fait à travers la musique. Au début des années 80 j’aimais beaucoup les artistes (Joy division, Durutti Column etc…) du label anglais de Manchester Factory.
Toutes les pochettes de disques du label étaient réalisées par le graphiste Peter Saville qui, à la même époque, réalisait les catalogues du créateur de mode japonais Yoghi Yamamoto.
Je me suis familiarisé avec l’univers de ce dernier mais aussi avec ceux d’autres créateurs de mode : Comme des Garçons, Jean Paul Gaultier… J’ai découvert un milieu en constante recherche et j’ai été sensible au fait que la mode ce n’est pas uniquement des vêtements mais aussi des manipulations d’images et de sensations.

Au quotidien comment travaillez vous ? Quelles sont vos relations avec les créateurs ?

J’ai la chance d’avoir de longues relations avec certains créateurs comme avec Marc Jacobs ou Miuccia Prada ce qui m’amène à faire de la recherche pour eux tout au long de l’année. Lorsque vient le moment du défilé mon travail avec eux commence généralement par une discussion. Je regarde très peu les vêtements, j’ai besoin de ce moment intime provoqué par cet échange qui permettra à la musique de ne pas être simplement plaquée mais surtout de raconter une histoire.

Avez vous pensé à un défilé sans son ?

Oui, il y a très longtemps pour Martin Margiela. J’avais mis le volume de la musique très fort pour l’entrée des invités dans la salle et puis un silence brutal dés le début du défilé. L’assistance s’est mise à parler et ce murmure s’est superposé aux crépitements des appareils photos. Il y avait un sentiment de malaise provoqué par le vide et c’est comme si il fallait que l’espace soit absolument rempli de sons.

Comment masque t-on le silence au quotidien?

Je ne crois pas que l’on ait besoin de masquer le silence. Et d’ailleurs le silence absolu n’existe pas puisque, comme le dit John Cage, chacun de nous entend son propre sang couler dans ses veines. C’est peut-être ce qui fait peur aux personnes qui ont besoin d’avoir un fond sonore permanent. Fuir le silence pour ne pas se retrouver avec soi même…ou avec l’autre. C’est l’utilisation de la musique dans le but de gommer toute émotion. Ce qui me semble un étrange paradoxe. Lorsque j’ai commencé à travailler à New York, j’étais très surpris que l’on me demande de mettre de la musique avant les défilés. Je pensais à ces pauvres journalistes qui après une semaine de Fashion week devaient être saturés (j’imagine qu’il y a aussi des journalistes masculins ???) de musiques et en bon européen j’ai tenté de faire de la résistance. Malheureusement cette notion d’Entertainment les Américains l’ont imposée jusqu’en Europe.

Essayez vous de donner « une claque »aux journalistes lors des défilés comme certains le disent ? Est-ce pareil avec le son ?

Comme je le disais précédemment, ce qui est important pour moi c’est de provoquer des images et de donner à voir ce qui n’est pas visible. Créer un cadre poétique qui laisse place aux sensations et à l’imagination. Un peu à la manière d’un parfum. C’est pourquoi j’interviens beaucoup sur les musiques que j’utilise. A l’aide d’effets, de réverbération, d’échos je fais en sorte que la musique et le son deviennent non seulement un environnement mais surtout une signature qui résiste au temps. Je me demande souvent si ce n’est pas la musique qui démode la mode et c’est ce que j’essaye au maximum d’éviter.

Cela permet aussi une double lecture du défilé ? Au delà des vêtements, tout l’univers du créateur est mis en exergue…

Exactement. D’ailleurs la plupart des créateurs de mode avec lesquels je travaille mélangent des couches successives d’images. En plus de cette discussion qui est toujours la genèse d’une collaboration, j’aime regarder les moodboards dans les studios sur lesquels toutes les inspirations qui ont servi à construire une collection sont visibles.
Ainsi, je commence toujours par regarder et voir, puis je synthétise et interprète ces différentes émotions afin de donner à entendre, ressentir et imaginer.

Est-ce que la musique, via le rythme etc. structure le défilé ?

D’un défilé à l’autre le rythme des défilés et surtout celui des mannequins est identique. A mes débuts on me parlait souvent de musiques pour rythmer la marche des mannequins. Cela accentue pour moi l’aspect mécanique des défilés et je préfère suggérer de l’émotion et de la poésie.

Vos inspirations (cf. blog internet) sont souvent basées sur des images qui varient selon d’infimes nuances… Est-ce représentatif de votre travail ?

Je crois que la distance est une des particularités de mon travail. J’aime que le spectateur se pose des questions, qu’il soit habité par ce qu’il vient de voir et d’entendre. J’ai souvent remarqué qu’une compréhension trop immédiate était aussi vite oubliée. Pour cela j’ai développé une technique qui n’appartient qu’à moi et que je fais évoluer très lentement selon les inspirations.

Est-ce que cela à voir avec vos souvenirs ? D’où puisez-vous la sensibilité que vous retranscrivez dans vos créations ?

Cela a à voir avec mes souvenirs et avec ce que je vis et ce que j’ai pu vivre. Il y a souvent une part autobiographique dans mon travail. Même pour un travail de commande, je mets toujours beaucoup de moi-même, ce n’est jamais vide de sens.

Ce qui est intéressant aussi c’est que chacun fait sa propre interprétation de la musique ; qu’en pensez vous ?

Oui le rapport à la musique et au son est très individuel. Chacun peut avoir sa propre interprétation et celle ci varie selon l’humeur et selon l’instant. Je suis allé plus loin dans ce concept en créant des œuvres uniquement sonores pour des galeries d’art et des musées.

Pensez vous que votre métier évolue avec l’arrivée des défilés très spectaculaires au sens du décor ?

Oui cela accentue mon désir d’abstraction. Je pense par exemple au défilé de Marc Jacobs en février dernier, inspiré par cette œuvre d’Oliafur Elliasson « The Weather », montré dans ce lieu monumental le Lexington Avenue Armory à New York ; j’ai préféré utiliser un chœur très minimal évoluant pendant quinze minutes plutôt que le son de l’orage et un rythme techno effréné. J’aime opposer le sensible au spectaculaire. Finalement, depuis mes débuts avec Martin Margiela en 1988 je n’ai eu de cesse de vouloir pérenniser l’aspect anti-mode de mon travail.

Quel est l’avenir pour les défilés ?

Quelle que soit sa forme le défilé de mode a encore beaucoup d’avenir. C’est sur ce point qu’il est permis de faire un parallèle avec le monde de la musique.
Internet et la musique digitalisée n’ont-ils pas accentué le désir de voir des concerts ? Les sens des spectateurs n’ont ils pas besoin de poésie et d’émotions ?

CHLOE DARLES

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