Vogue Collections Automne Hiver 2015-2016

Vogue Collections Automne Hiver 2015-2016

SOUND MAN
C’est l’un des hommes invisibles de la fashionweek – mais l’un des plus importants aussi.FREDERIC SANCHEZ signe depuis vingt ans les bandes-son des plus beaux défilés. Rencontre avec un story-teller musicalunique, dont le talent a séduit Miuccia Prada et Rei Kawakubo, Marc Jacobs …

C’est un grand studio tout blanc, quelque part du côté de la gare de l’Est. Dans la bibliothèque qui grimpe jusqu’au plafond, il y a des CD, bien sûr, des dizaines de vinyles – à moins que ce ne soit des centaines. Sur le bureau, on dénombre 23 disques durs externes – «mais il y en a beaucoup plus en bas», s’amuse Frédéric Sanchez. La quarantaine élégante, l’oeil pétillant, pantalon gris et pull sombre, l’ex-môme des années 80, arrivé à la mode par la musique, vient de terminer le marathon de la saison automne-hiver 2015/2016. À son actif, des big names ( Prada, Comme des Garçons, Marc Jacobs, CalvinKlein .. .) et des new-comers (Marie Katrantzou,Thomas Tait…), pour qui il travaille la matière la plus impalpable qui soit : le son. Egalement aux commandes d’installations sonores personnelles, commissaire d’exposition, du Louvre à la Cité de la Musique – on l’imagine «à la mode», exubérant. C’est un créateur discret qui vous propose un café, se réjouit de n’avoir, pour l’instant, aucun projet en cours, et n’hésite pas à confier son rapport complexe à la ville, de laquelle il s’échappe pour travailler dans son studio installé en Normandie.

Un défilé dure en moyenne dix minutes.
Comment raconte-t-on une histoire en un laps de temps si court?

Ça dépend des maisons. Pour chacune, j’ai une quarantaine d’heures de travail, et de deux à quatre rendez-vous. Au-delà du travail de studio, je parle beaucoup avec les créateurs.

Vous voyez les collections avant tout le monde?

Pas forcément. Parfois je ne les vois pas. Cette saison, j’ai travaillé avec Guillaume Henry: pour sa première collection chez Nina Ricci, il m’a surtout montré des photos, des objets … Mais chez Comme des Garçons, j’ai droit à un véritable défilé, pour lequel j’arrive avec une centaine de propositions différentes.

Pour l’automne-hiver, la tendance serait …

Une poésie chaotique. Pas mal d’entrechocs, sous tendus par une envie d’être créatif en allant jusqu’aubout. J’ai eu envie de recommencer à travailler avec des ruptures, des non-mixages, comme les collages chez Miu Miu, ou cet enchantement un peu acide du show Prada.

Ce goût du non-mixage, c’est l’inverse d’un travail de DJ?

Je ne suis ni DJ, ni disquaire, ni programmateur! Ce que je fais, c’est de la mode. De la mode sonore, mais de la mode avant tout. Il faut savoir être humble pour accompagner les collections. Après, je fais une différence entre mon travail de commande et mon travail personnel.

Quel a été votre projet le plus fou?

Une collaboration avec la fondation Prada, à Venise, pour l’exposition «Art or Sound». Miuccia Prada m’avait demandé d’orchestrer 250 oeuvres sonores – et elle ne voulait pas de casques. Il y avait tout un travail sur l’espace, la manière dont le son se diffuse, se répercute, se mélange – ou pas.

Quels sont les lieux que vous aimez?

Les endroits qui résonnent. Les endroits imparfaits, comme le Grand Palais, où j’ai travaillé à deux reprises. J’aime cette idée de réverbération, de délai, que le son prenne du temps pour se faufiler dans les imperfections de l’espace. Le son, c’est une histoire, un cheminement, c’est remonter le fil du souvenir.

Et les musiciens qui vous inspirent?

Ça a beaucoup à voir avec les années 70. John Cale m’a fait découvrir la musique minimaliste américaine, Brian Eno l’électro allemande ainsi que la nouvelle scène anglaise, Gavin Bryars, Cornelius Cardew. Et Robert Wyatt, pour la poésie sonore.

Un coup de coeur sonore – ou musical?

J’aime tout. Comme j’utilise pas mal la synthèse modulaire, je m’intéresse à des musiciens qui utilisent des systèmes appelés «West coast», les ancêtres du synthétiseur nés au début des années 60. Eliane Radigue, une artiste française, s’en servait: je l’ai insérée dans le défilé Nina Ricci… Et puis je me penche sur les nouvelles artistes femmes, comme Kaitlyn Aurelia Smith, qui a sorti récemment Euclid, un très beau disque.

Et le silence?

Le silence, c’est une illusion utile…